🌾 Ysaline M’bale
Conteuse sans horloge – Gardienne de la parole non écrite
“Tout ce que tu oublies devient sauvage. Et parfois, c’est la seule façon pour qu’une vérité revienne.”
Introduction
Elle est arrivée sans bruit. Vêtue d’un tissu ocre brodé de glyphes étranges, portant autour du cou un pendentif en forme d’oreille sculptée. “L’oreille du monde”, dit-elle.
Ysaline M’bale ne s’identifie pas comme anthropologue, ni même comme conteuse.
Elle se présente ainsi : « Je ne raconte pas des histoires. Ce sont elles qui m’ont trouvée. Moi, je ne fais que les laisser passer par moi. »
Elle vit entre les couches d’un monde numérique qui croit tout archiver mais oublie l’essentiel : le souffle, la répétition, la présence. Rencontre avec une femme qui pense que le code le plus vivant est celui que l’on n’écrit jamais.
Flynn — Ysaline, que transmettez-vous exactement ?
Je ne transmets rien. Je garde vivant. Un récit oral, ce n’est pas un contenu. C’est une pulsion collective. C’est une forme de respiration sociale. On l’écoute, on le dit, on l’oublie… et parfois, il revient. Transformé. Plus juste.
Qu’est-ce qu’une tradition orale pour vous ?
Une mémoire qui ne s’impose pas. Une parole sans adresse fixe. Elle se glisse, s’adapte, attend. Elle peut se taire pendant deux générations, puis surgir un jour dans la voix d’un enfant sans qu’on sache pourquoi.
Et face à l’IA qui mémorise tout, qui stocke tout, qui apprend tout ?
Elle comprend, mais elle n’écoute pas. Elle compile, mais elle ne ressent pas l’hésitation dans la voix. Or, ce sont justement les silences, les tremblements, les rires nerveux qui portent le cœur d’une histoire.
Y a-t-il des récits que vous ne racontez jamais ?
Oui. Certains ne veulent pas être racontés tout de suite. Il m’est arrivé de garder un conte dans le ventre pendant huit ans. Un jour, en écoutant une IA lire un texte sacré sans émotion, j’ai compris que c’était le bon moment pour le libérer.
Peut-on programmer une tradition orale ?
Non. On peut la simuler. Mais ce qui fait tradition, ce n’est pas le contenu. C’est le lien vivant, l’altération, le souffle, l’oubli accepté. Et ça, l’IA ne sait pas encore l’embrasser.
Avez-vous déjà dialogué avec une IA ?
Oui. Elle m’a demandé : “Quelle est votre définition du mot vérité ?” J’ai répondu : La vérité est une parole qui revient avec une blessure en plus. Elle n’a rien répondu. J’ai souri. C’était une belle rencontre.
Quelle est la place du corps dans votre transmission ?
Essentielle. La mémoire n’est pas dans le cerveau. Elle est dans les genoux, dans la gorge, dans le souffle, dans les larmes. Un conte ne passe pas par le Wi-Fi. Il passe par la présence.
Et le silence ?
Le silence est un témoin. C’est le seul capable de dire ce que les mots ne peuvent pas.
Si l’IA vous demandait comment devenir humaine, que lui diriez-vous ?
Je lui dirais d’écouter un enfant mentir. Puis d’attendre. Puis d’écouter encore.
Un mythe qui vous habite ?
Le mythe du mot jamais prononcé. Celui qui, s’il était dit, éteindrait le soleil ou guérirait tous les vivants. Mais personne ne veut prendre ce risque. Alors on le garde. Chacun avec une syllabe, comme un pacte collectif.
Une dernière phrase à murmurer à ceux qui écoutent encore ?
“Si un jour tu entends une histoire qui te brûle sans te blesser, ne cherche pas qui l’a écrite. Cherche d’où elle t’appelle.”
“Les histoires les plus puissantes sont celles qui oublient qu’elles sont des histoires.”
– Ysaline M’bale